C’est une des conséquences les plus dynamiques du changement climatique, mais aussi la moins connue. La sécheresse, non seulement attise les incendies et détruit les cultures, mais elle provoque aussi des fissures dans les maisons, les rendant parfois inhabitables.
1.Sécheresse et changement climatique
Les 65 000 hectares de forêts qui ont brûlé cette année en France resteront sans doute dans les annales. Mais cette sécheresse exceptionnelle que nous avons connu en 2022 risque de se reproduire.
Certes, l’Afrique est au premier plan face à ces conséquences du changement climatique. Mais l’Europe doit se préparer à la multiplication de ces phénomènes extrêmes. Déjà, chaque année en moyenne, 17 % de la population et 15 % de la surface de l’Europe sont touchés.
En France, près de 29 500 sinistres sécheresse sont indemnisés chaque année, en moyenne, par les assurances.
Dans une étude publiée récemment, France Assureurs, la Fédération française de l’assurance, s’est concentrée sur les conséquences de la sécheresse sur les habitations. Ce risque concerne près de la moitié du territoire métropolitain.
Et plus de 16 % des maisons individuelles sont fortement exposées au risque de retrait-gonflement des argiles (RGA), qui fissure les murs et peut rendre inhabitables les maisons.
2.Le retrait-gonflement des argiles
Identifié depuis longtemps par les géotechniciens, « le phénomène de retrait-gonflement des argiles correspond à la succession d’épisodes pluvieux et d’épisodes de sécheresse ».
Lorsque la teneur en eau baisse dans un sol argileux, on assiste à une dessication qui provoque une réduction du volume de ce sol, ou retrait des argiles. A l’inverse, lorsque la teneur en eau augmente, le volume du sol augmente : on parle alors de « gonflement des argiles ».
Ces variations de l’humidité du sol provoquent des glissements de terrain. Mais les maisons n’étant pas construites sur des couches argileuses homogènes et uniformes, les variations de volume affectent les fondations différemment, ce qui provoque la fissuration des maisons.
Si on ne parle que de risque RGA fort, 6 département de la France métropolitaine ont plus de 50 % de maisons individuelles concernées. La palme revient au Gers avec 90 % des maisons en zone à risque, suivi par les Bouches-du-Rhône, le Lot-et-Garonne, les Alpes de Hautes Provence, le Tarn et la Haute Garonne. Aucune étude n’a été menée sur notre île, ni sur aucun département d’Outre Mer.
3.Expertise et catastrophe naturelle
Créé en 1982, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles garantit à tous les Français une indemnisation en cas d’aléas naturels. Fondé sur des principes de solidarité, d’universalité et de responsabilité, ce partenariat public-privé confie la mise en œuvre de ce régime aux assureurs.
En dehors de commercialiser des contrats intégrant une garantie cat. nat., les compagnies d’assurance doivent instruire les dossiers et indemniser les assurés.
Cette instruction des demandes d’indemnisation doit d’abord vérifier que les dommages déclarés sont bien la conséquence de la catastrophe naturelle visée par l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophes naturelles, pris par l’État. C’est là qu’intervient l’expert mandaté par l’assurance.
En matière de sécheresse, la difficulté consiste à déterminer si les fissures constatées sont bien la conséquence d’un mouvement différentiel des sols, sur la période considérée par l’arrêté cat.nat.
Car il y a fissures et fissures : entre les microfissures, les fissures horizontales ou verticales, les fissures en escalier ou traversantes, les lézardes…, toutes n’ont pas pour origine un phénomène RGA.
Sur la totalité des sinistres sécheresse traités chaque année par les experts, 53 % sont classés sans suite. Car ils sont liés à des phénomènes de dilatation et de retrait des matériaux de construction, et non à un mouvement du sol lié à la sécheresse.
Les difficultés à comprendre les causes d’un dommage n’expliquent qu’en partie le retard souvent critiqué des indemnisations. Car, en effet, un délai non négligeable, sépare la période de sécheresse, l’apparition des dégâts sur les maisons et la publication de l’arrêté cat.nat.
Rappelons que c’est le maire de la commune sinistrée qui doit faire la demande de reconnaissance catastrophe naturelle sécheresse. Et il se passe de nombreux mois avant la publication de l’arrêté. Mais les choses s’améliorent. De 22 mois en moyenne, on est passé à 13 mois depuis 2010.
4.Le rôle des assureurs
En 2000, la profession de l’assurance a créé la Mission Risques Naturelles (MRN). Son rôle est d’améliorer la connaissance et la prévention des risques naturels. Elle effectue bien évidemment un suivi continu du phénomène sécheresse.
Travaillant étroitement avec Météo-France et le BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière), la mission établie la carte d’exposition au retrait-gonflement des sols argileux. Elle travaille également avec France Assureurs sur l’estimation des dommages, tant en matière d’impact sur le bâti qu’au niveau du coût pour les assureurs.
Et le constat est clair : depuis 1989, la sécheresse représente une part croissance de la sinistralité climatique. Ainsi, sur la période 2016-2021, la sécheresse représente 24 % de la sinistralité climatique, contre 15 % pendant la période 1989-2015.
Depuis 1989, date de l’intégration de la sécheresse dans le régime cat.nat., les sinistres sécheresse représentent 8 des 20 événements naturels les plus importants.
A lire également, notre article « Le climat met au défi les assureurs »
5.La prévention du risque RGA
Cet accroissement du risque RGA touche non seulement les habitations, mais peut aussi affecter les routes, les autoroutes, et même les réseaux enterrés comme les canalisations de gaz.
Face à cette problématique, les assureurs sont prêts à poursuivre leur contribution, en continuant à indemniser les personnes touchées. Mais ils prônent aussi une meilleure diffusion de la connaissance, via le partage d’une cartographie des aléas naturels au public, pour que chacun puisse estimer son exposition personnelle.
France Assureurs appelle également à une stratégie nationale de prévention. Il s’agit d’adapter le bâti existant, de construire de nouvelles règles pour les bâtiments neufs et d’accroître l’étude des sols. Car l’environnement proche doit être mieux pris en considération : la végétation et les eaux courantes autour de la maison doivent être surveillées pour le rôle important dans les dégâts subis en cas de retrait-gonflement des argiles.
En 2022, près de 11 millions de maisons individuelles sont concernées par le RGA. Le coût de la sécheresse cette année devrait osciller entre 1,9 et 2,8 milliards, selon France Assureurs.
Aujourd’hui encore, la sécheresse est considérée comme une catastrophe naturelle. Espérons que sa multiplication ne la transformera pas en réalité quotidienne.